Babylone

Lorsque Dina et Catherine, formatrices en Pratique Narrative, proposent de faire un exercice aux membres de la session narrative « spécial jeunes » dans laquelle je mettais inscrite, j’ai tout de suite pensé à Arnaud… Jeune homme de 25 ans, malentendant, ayant une relation avec la schizophrénie depuis ses 20 ans. 

Deux jours auparavant, à la fin de la séance hebdomadaire d’équithérapie d’Arnaud, je réalise l’ampleur de mon impuissance face au sentiment d’agacement qui me gagne insidieusement … Je réalise à ce moment que je n’étais plus dans une posture d’accompagnante et que ma responsabilité éthique était engagée. Ce malaise me troubla beaucoup, à tel point que cette fois-ci, je choisis de ne pas aller voir la maman qui attendait dans la voiture… Lui dire quoi ? « Que bien qu’il m’ait dit qu’il avait envi de monter aujourd’hui Natoly pour aller faire une promenade, il n’a pas montré un grand intérêt à la préparer et que…. » non… je n’avais pas du tout envie de lui renvoyer mon désappointement. Seulement voilà, lorsqu’elle est descendue de sa voiture pour venir vers moi, c’est tout autre chose que je lui ai dite car j’ai vu dans son regard et dans le ton de sa voix qu’elle avait besoin d’espérance et c’est ce qu’elle venait chercher en venant me parler.

Depuis que Arnaud vient en séances d’équithérapie, il avait pourtant fait des progrès depuis un an… Comme reconduire la voiture pendant plusieurs mois… Ranger sa chambre… Laver son linge… Pourtant, au retour des vacances, ses médecins trouvaient qu’il avait régressé, au grand désarroi de ses parents.

Lors de l’exercice à trois, appelé ‘intervision narrative’ je raconte mon histoire à mes deux pairs. J’explique que mon intention est de proposer par le biais du cheval, une expérience ramenant Arnaud dans le présent, dans la vie. je l’invite à faire des choses comme préparer le cheval, faire un parcours avec lui à pied. En se reliant à ses sens, on se relie à ses émotions. En étant de nouveau dans l’action, j’espérais qu’il retrouve de la curiosité et de l’intérêt. Qu’il retrouve l’envie… Je leur raconte qu’ Arnaud ne parlait pas beaucoup en général. Il m’avait raconté une fois, qu’il était passionné d’histoire… Surtout le Moyen Age jusqu’à la Révolution Française. Qu’il aurait bien aimé savoir faire des bandes dessinées racontant cette épopée. 

A la fin de mon récit, mes deux co-équipières, se mettent en face l’une de l’autre et discutent entre elles de leurs impressions et leurs visions de la scène, sans que je puisse intervenir. Je prends une feuille de papier et je note leurs réflexions et ce que j’entends  me frappe comme une claque … « Pourquoi ‘faire’ est si important ?… Qui a dit qu’il faut faire ?… Est-ce vrai dans d’autre pays ?… Quand il ne fait rien, où est-ce qu’il est ?… Elles parlent de l’interroger sur le verbe « faire »… Ses rêves… L’espoir qu’il a… Le faire parler, raconter son histoire… » 

Mais oui, bien sûre ! le principe même de la Pratique narrative... Etre curieuse de l’autre pour rendre audible ses pensées silencieuses… Aller visiter « son » Babylone. 

 A la séance suivante, je garde une des idées du groupe…. C’est de faire de cette séance, un instant qu’on n’a jamais vécu ensemble. A son arrivée, Je l’invite à prendre un thé, dans ma cuisine. Il a été tout d’abord surpris et pour le mettre à l’aise, je lui demande son aide en allant chercher les tasses dans le placard et les petites cuillères dans le tiroir. Ce petit rituel de préparation du thé nous laisse le temps de nous approprier l’espace et de nous détendre. A peine assis autour de la table, à ma grande surprise, c’est Arnaud qui entame la conversation,  j’ai senti son envi de me raconter combien il avait bien aimé visiter un vieux château lors de son week-end avec ses parents… Je n’avais plus qu’à lui poser les questions qui m’amenèrent à découvrir son univers…

 Documentation d’un extrait de conversation avec Arnaud

 « Au collège… Madame Slota… La révolution française… Libre de ses choix ; Faire ce qu’on veut sans atteindre la liberté de l’autre ; Respect de l’autre et de soi-même.

Au Lycée… J’aimais étudier comment la vie a apparu sur la terre. J’ai fait mes propres choix, comme mes frères ont fait leurs propres choix.

Pourquoi les animaux n’ont pas les mêmes droits que les hommes ? On ne choisit pas son être-vivant, c’est la nature qui choisit.

Si j’étais Dieu ? Je ferai que la magie existe. J’aimerais changer le désordre avec la magie. Faire tous les jours les mêmes choses, c’est fatiguant, Ce sont des corvées.

Je suis « neutre » dans le monde. Je ne sais pas où je vais et j’ai du mal à faire des actions et de prendre des initiatives, il faut qu’il y est une personne derrière moi pour me dire. J’ai l’impression que par magie, je suis né homme.

Comment j’ai réussi à passer mon permis ? Je voulais mon permis pour moi-même. C’est une étape obligatoire pour rentrer dans la vie d’adulte. Pour être un homme, un citoyen. C’est pour ça que j’ai dépassé la peur de l’inconnu. J’ai mis toutes mes chances envers moi. J’ai regardé l’inconnu en face… que ce n’est pas une bête qui peut me faire mal… 

Les qualités qui me sont révélées ? Compétence… Patience… Je me suis mis à fond.

Je regrette de ne pas être allé à l’Université. Parce que le professeur m’a dit que ce n’était pas obligatoire. Je n’étais pas obligé…Qu’on pouvait me mettre dehors… Sentiment d’injustice…

Un « Tanguy » c’est quelqu’un qui est contraint… Il n’a pas le choix… Un Tanguy a peur, refuse l’inquiétude du monde extérieur.

Et puis il y a l’attachement de mes parents… Peur de la solitude… Peur du mur de l’inconnu… Moi,  vis-à-vis des autres… les autres vis-à-vis de moi… Je crains la réaction de « la peur de l’inconnu ». C’est un gros handicap, j’ai besoin d’une personne derrière moi qui me soutienne…

J’ai une stratégie pour rester en retrait, pour ne pas faire de bêtise : Rester sur ses pas pour ne pas être agressé parce que la personne inconnue n’aime pas la chose… »

Je m’émerveille de son histoire qui me fait voyager dans un monde inconnu de moi… Ses croyances et mythes culturelles m’informent tellement sur son éthique, la raison de son comportement qui le porte, lui donnant la force de vivre, d’agir ainsi.  Ses réponses sont autant de piste à explorer pour l’inviter à aller visiter d’autres espaces… D’autres pièces de son Babylone. 

Je remercie Arnaud… Je remercie mes pairs… Je remercie la vie d’avoir éclairé mon chemin par leurs présences et de m’avoir rappelé que l’espoir c’est s’ouvrir à d’autres réalités, se préparer à penser autrement, à agir différemment…

La magie existe, Dieu l’a créé….

Merveilleuse journée à tous…

A propos Nathalie Guillaume

Médiatrice équine

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