Kaïros

J’ai découvert le  nom de Kaïros dans un livre écrit par Linda Kohanov. Ce livre est accompagné dans sa boite par un jeu de 40 cartes. L’une d’elle illustre un cheval puissant émergeant d’une brume couleur  arc-en-ciel. Dans le livre, on peut lire ce que cette carte signifie pour celle ou celui qui la tire. 

« lorsque nous sommes sensibles au bon timing, nous pouvons accomplir de grand progrès avec un minimum d’effort… Pourtant nous ne pouvons pas forcer le destin, nous devons attendre patiemment qu’une occasion se présente…et alors agir sans hésitation »

Depuis plusieurs semaines, Louis, enfant avec autisme de 7 ans, appréhende de rentrer dans le petit manège couvert des écuries. Dès que nous approchons du lieu, son corps tout entier se raidit sous l’influence d’une grande anxiété…Et dès que nous nous en éloignons, il se détend immédiatement et profite pleinement de sa séance avec sa ponette shetland Janet. Jusqu’à présent, j’attendais qu’il soit à califourchon sur elle pour traverser le manège, espérant ainsi qu’il s’habituerait à cet espace clos un peu plus à chaque séance.  

Ce samedi là, il pleut et j’attends Louis près de l’entrée des écuries. D’habitude, nous allons directement vers la sellerie des poneys afin de prendre le licol pour aller chercher Janet dans son pré. Mais cette fois-ci, pour une raison dont je ne me rappelle pas, je prends la direction de l’entrée principale des écuries. Immédiatement, je sens la main de Louis serrer la mienne et je réalise que c’est la première fois que nous passons par là.

C’est à ce moment là où nous sommes dans le temps de Kaïros. J’avais le moment propice, l’instant favorable pour amener Louis à traverser le manège de son propre gré. Nous étions rentrés dans une autre dimension, créant de la profondeur dans l’instant comme une porte qui s’ouvrait sur une autre perception de l’espace, de l’événement, de soi…                  Pour profiter du Kaïros, Je devais sentir sa présence et l’éprouver de l’intérieur. Cela me demandait de la finesse, du flair, de l’intuition pour saisir cet instant rare au vol, afin que le désir de Louis et de moi-même coincident. 

Pour aller vers le pré de Janet, il nous fallait longer les boxes, puis traverser le petit manège de part en part en allant de l’embrasure de la porte intérieure vers celle qui donne vers le dehors. Louis marcha tout d’abord d’un pas lent, m’entraînant avec lui dans sa quête de découverte, explorant du regard chaque partie des écuries, observant les pigeons perchés sur les poutres de la toitures et réagissant aux moindres bruits des chevaux par des clignements de yeux ou en se bouchant les oreilles avec les paumes de main. Son corps tendu, comme le serait celui d’un jeune poulain humant chaque odeur, avançait quand même d’un pas explorateur.

Durant sa traversée, Louis entama une danse silencieuse. Tout d’abord un pas en avant… deux pas en arrière…Vérifiant ainsi qu’il pouvait reculer à sa guise pour reprendre courage mais aussi être sûr que je ne l’en empêchai pas. Il fit ce rituel plusieurs fois jusqu’au moment où nous sommes enfin arrivés à l’embrasure de la porte du manège, Louis s’arrêta net en serrant à tel point ma main, que je fus surprise qu’un si petit être puisse avoir autant de force et être aussi déterminer à ne vouloir plus avancer. 

Nous n’étions plus dans le temps de Kronos, temps linéaire, mesuré par des horloges. Les Grecs représentaient Kaïros comme un jeune dieu ailé avec une touffe de cheveux sur le crâne tenant une balance. Passant très vite, il faut pour l’attraper, profiter de cet instant fugace où sa tête est bien orientée et nous offre une prise. 

J’étais là, près de lui, la main dans la main, consciente de ce qui se jouait. Je savais que nous étions arrivés au moment où tout peut basculer à la moindre pression de ma part. En revanche, je savais  aussi qu’il savait ce que j’attendais de lui…Et c’est à ce moment précis, que Louis décida de traverser le manège d’une seule traite jusqu’à ce que nous nous retrouvions dehors…

Dernièrement, j’ai embarqué une pouliche de 2 ans dans un van. C’était sa première expérience. J’ai pensé à Louis et à Kaïros…J’ai présenté le van à la pouliche, j’ai posé mon  intention et j’ai attendu le moment propice. Comme Louis, la pouliche a vérifié qu’elle pouvait reculer, puis sa nature curieuse l’a poussé à explorer le van. Elle monta tranquillement dedans en  moins de 15 mn…

Très belle journée…

 

 

A propos Nathalie Guillaume

Médiatrice équine

8 réponses

  1. GUILLAUME Martine

    Encore un magnifique témoignage, tellement bien écrit et très poétique, je trouve. Bravo ma sœur, tu me touches vraiment au cœur…. Je t’aime

    Envoyé de mon iPad

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  2. Je découvre cet article ce soir, et la définition de ce qu’est le moment Kaïros me cueille au moment où j’ai besoin de la lire…
    Et que dire de Louis ? Tellement poignant… Il nous emmène dans ce moment de plain pied. Connaissant bien les lieux, grâce à tes mots je me suis imaginée donner la main à Louis et traverser les écuries et le manège avec lui. Une très belle histoire…

    Merci de ce partage si fort et poétique à la fois Nathalie.

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      1. Tania

        S’il revient toujours, alors je suis complètement rassurée ! Je n’ai pas l’outrecuidance de croire que je le verrai dès sa première apparition, alors tant mieux s’il est persévérant !!! Je pense l’être aussi. Nous nous entendrons peut-être bien Kaïros et moi!

        À très bientôt Nathalie, ici ou là !

        Aimé par 1 personne

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